Marion Wörle and Maciej Śledziecki sont les membres du duo berlinois Gamut Inc. Les deux artistes proposent une approche singulière de l’orgue en assurant le contrôle de l’instrument au travers d’une automatisation par ordinateur. Toulouse Magazine a profité de leur passage à l’église du Gesu pour leur poser quelques questions.
Marion Wörle : Nous nous sommes rencontrés il y a plus de 20 ans. Nous étions déjà compositeurs, mais nos parcours étaient différents : Maciej vient des musiques instrumentales classiques et acoustiques, alors que pour ma part je suis issue des musiques électroniques.
Maciej Śledziecki : Notre fascination pour l’orgue a commencé avec une commande particulière où l’on nous a demandé de travailler sur une composition. Petit à petit, nous nous sommes spécialisés dans le théâtre musical en utilisant des machines et des instruments pilotés par ordinateur, notamment l’orgue. Depuis, cet instrument est devenu central dans notre exploration créative.
Pour quelqu'un qui n'est pas familier avec le concept proposé par Gamut Inc, comment définiriez-vous votre approche artistique ?
Notre premier objectif est de travailler le son comme une matière brute, celle qu’il faut travailler, qu’il faut sculpter. Pour ce faire, nous explorons deux domaines : les instruments acoustiques et les sons amplifiés diffusés par des haut-parleurs. Après avoir procéder à l’étape de composition, les sons sont intégrés dans un ordinateur qui pilotera l’orgue, tant sur la gestion des notes que sur la modulation du son. Pourquoi l’orgue ? Et bien parce qu’il offre une palette sonore très vaste, bien plus développée que d’autres instruments, ce qui nous permet de créer des univers très variés.
À l'occasion de votre résidence à l’église du Gésu de Toulouse, vous avez travaillé sur une performance unique. Pouvez-vous nous en parler ?
L’idée était de jouer à partir d’un orgue mobile appelé l’Explorateur. Pour cette performance, nous avons dans un premier temps réadapté plusieurs de nos compositions en fonction des possibilités spécifiques proposé par cet instrument. Nous avons également créé de nouvelles pièces en explorant les capacités de cet orgue technologique. Au terme de deux semaines de travail, nous sommes parvenus à créer des effets sonores particuliers, comme des imitations de vol d’oiseaux, qui ajoutent une dimension visuelle et sonore très intéressante. L’Explorateur est vraiment un instrument unique ; il est capable de moduler le souffle d’une manière à ouvrir des possibilités sonores très intéressantes.
Gamut Inc, quelle est la part d'improvisation dans votre processus créatif ?
L’improvisation est pour nous primordiale. Pendant nos séances de travail, les moments de lâcher-prise et d’expérimentation deviennent la base de nos compositions. Une fois qu’une idée nous parait intéressante, nous la fixons et nous la développons au travers de l’ordinateur. Ce soir, nous jouerons d’ailleurs des morceaux qui à l’origine étaient des improvisations. L’ordinateur les ayant désormais intégrés, reste pour nous de veiller pour que tout se déroule sans problème. Bien entendu, au-delà de ces créations improvisées, nous aimons aussi proposer des pièces que les organistes peuvent reprendre en live avec leurs dix doigts.
On pourrait penser que l’orgue est un instrument qui attire un public restreint, est-ce vraiment le cas ? D’ailleurs, quelle a été la réception de votre travail auprès du public français ?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, nous avons un public très diversifié. Nous rencontrons toutes sortes de personnes curieuses de nos expérimentations : des artistes issus des musiques électroniques, des musiciens « classiques » et même des facteurs d’orgue. Chaque lieu où nous jouons attire des audiences différentes, mais c’est toujours fascinant de voir comment le public réagit à notre musique.
En France, nous avons joué à Paris. Le public était plutôt branché « art contemporain ». Quoiqu’il en soit, ce qui est intéressant c’est qu’en France les personnes écoutent l’orgue d’une manière complètement nouvelle, loin de l’image passéiste souvent associée à cet instrument. Ils ont une écoute neuve, curieuse de ce qui est proposé.
Gamut Inc, quels sont vos projets futurs ?
L’année est pleine de projets éclectiques. Nous allons collaborer avec une danseuse de butō pour une création, puis nous allons entrer en résidence au Canada pendant deux semaines. D’autres propositions se profilent au Danemark et dans le nord de l’Allemagne. En plus de nos performances, nous organisons également un festival intitulé AGGREGATE qui se tiendra en novembre à Berlin. Voilà ce qui nous promet de bons moments à venir.
Interview réalisée par Marie Aébi avec la complicité de Stéphane Reynier
Photographies de Marie Aébi
Remerciements à Toulouse les Orgues
Pour en savoir plus :
Gamut Inc